L'adjectif aurait pu s'accorder au pluriel, tant les œuvres de VAM et de NikiNeuts sont « habitées » par leurs questionnements et par leur propre histoire qui les ramène à une fêlure originelle comparable et qui, grâce à l'art, se fait résilience et transcendance. Mais le singulier adopté ici souligne que, si les artistes sont mues par une énergie commune, chacune développe un univers propre avec des spécificités – comme l'opposition du traitement des matières, minutieux ou brut – et des familiarités. D'où la fluidité et l'évidence qui se dégage du dialogue renouvelé entre les deux artistes aujourd'hui. On ne considérera cependant pas leurs œuvres comme des autoportraits, même si elles sont innervées par des morceaux biographiques, ce serait oublier que VAM et NikiNeuts s'inscrivent dans une quête à la fois intime et universelle et dans un processus évolutif de compagnonnage né de leur amitié. Leurs œuvres sont plutôt comme des détails de ces grandes peintures de paysages romantiques qui exprimaient un état d'âme, un monde intérieur et une certaine mélancolie. Alors prenons-nous un instant pour le
Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich et plongeons dans cette nouvelle exposition pour célébrer cette nature dans laquelle les artistes se sont réfugiées pour se régénérer, se mettre en retrait de la frénésie de la société et revenir à l'essentiel. Là encore, le rapprochement avec les peintres romantiques s'impose, par le biais de Baudelaire. « Pour moi, le romantisme est l’expression la plus récente, la plus actuelle du beau. [...] Qui dit romantisme, dit art moderne, c’est-à-dire intimité, spiritualité, couleur, aspiration vers l’infini, exprimés par tous les moyens que contiennent les arts. »
Au-delà de la recherche de l'expérience du beau et du sublime, VAM et NikiNeuts restent humbles tout en taclant l'orgueil d'une humanité qui se positionne encore et toujours dans un rapport de force et de domination avec la nature. Elle a oublié qu'elle n'est qu'un des éléments du Tout et que renouer avec la nature est nécessaire pour retrouver une intégrité humaine et prendre conscience de notre finitude et donc, que l'importance de notre passage sur terre a quelque chose de futile. Arrogance et hybris collent à la peau de l'humanité qui n'en fait qu'à sa tête depuis les nuits mythologiques, à l'image d'un Icare qui, malgré les avertissements de son père Dédale, vole à sa perte en s'approchant au plus près du soleil.
Aujourd'hui, le monde s'accélère et semble avoir perdu la raison – de l'industrialisation ravageuse au XIX
e siècle à l'écocide du XXI
e siècle, il n'y a qu'un pas –, mais VAM et de NikiNeuts en prennent soin, l'apaisent et le pansent. VAM hybride les règnes végétal et humain en imaginant des corps qui s’enracinent ou bourgeonnent, ou bien se (ré)parent de morceaux d’écorce, greffés à l’aide d’un fil de soie. « On ne sait pas encore si l'un ou l'autre va prendre le dessus ou si les deux vont co-exister, alors que ce sont deux mondes radicalement différents qui par définition ne devraient pas fusionner. On parle beaucoup de l'homme augmenté par la technologie, une vision que je trouve à la fois merveilleuse et effrayante, mais au lieu d'être augmentée par quelque chose d'artificiel, mon propos était d'imaginer un corps augmenté par la nature. » NikiNeuts crée un jardin imaginaire et artificiel au sein d'une chapelle dont les murs sont en briques de mousse recouvertes de tissus peints et cousus à la main. « Aujourd'hui, nous construisons des ''murs'' pour nous protéger, que ce soit littéralement ou métaphoriquement. Ils peuvent être des barrières physiques, mais aussi émotionnelles ou psychologiques. Ils nous isolent non seulement des dangers, mais aussi des opportunités de connexion humaine et de solidarité. »
Elles opèrent des aller-retours incessants entre l'exploration d'une pensée intérieure et un regard porté sur une façon d'habiter le monde, entre un besoin de se reconnecter à une nature à la fois protectrice et nourricière et la nécessité de faire éclore leur individualité blessée. Elles explorent les frontières entre l'intérieur et l'extérieur, l'intime et l'extime, le soi et l'autre, mais aussi les moyens de relier les gens les uns avec les autres, à la nature, à l'invisible, au spirituel. La symbolique intervient comme une alliée, notamment celle des couleurs. « Lorsque j'ai fait ce jardin vert à l'intérieur de la chapelle, très artificiel, cela me faisait penser à la plante verte qu'on soigne dans son intérieur avec de l'engrais, mais sans plus faire attention aux oiseaux à l'extérieur ou à l'herbe qui pousse », détaille NikiNeuts. La structure métallique se fait ossature et le papier ou le tissu, peau. Le sang circule dans tous les fils, de fer ou de couture. Si le rouge est chez VAM la couleur de la passion et de l'énergie, en tant que flux, il condense à la fois le rôle du sang et de la sève. « Quand on parle d'une symbolique, on n'est pas obligé d'être littéral, donc lorsque je fais une pousse verte ou rouge, pour moi les couleurs pourraient presque se confondre, ça n'a presque pas d'importance. »
Pour une poésie post-anthropocène.
Stéphanie Pioda
Historienne de l'art et critique d'art