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17 FÉVRIER - 24 MARS 2024

Stéphane Spach
Le temps et l'intemporel

La Galerie de l'Est vous invite à plonger dans l'univers visuel de Stéphane Spach à l'occasion d'une exposition photographique sous le signe de la poésie du temps. L'artiste vous propose ainsi de prendre part à une exploration aux attraits picturaux et scéniques dans laquelle les manifestations de la nature semblent se dessiner par leur propre temporalité.
17 FÉVRIER - 24 MARS 2024

Stéphane Spach
Le temps et l'intemporel

La Galerie de l'Est vous invite à plonger dans l'univers visuel de Stéphane Spach à l'occasion d'une exposition photographique sous le signe de la poésie du temps. L'artiste vous propose ainsi de prendre part à une exploration aux attraits picturaux et scéniques dans laquelle les manifestations de la nature semblent se dessiner par leur propre temporalité.
LE TEMPS ET L'INTEMPOREL DANS LES CHOSES MUETTES DE STEPHANE SPACH


Il y a dans les images de Stéphane Spach un parfait silence par lequel celui qui les approche est d'emblée saisi et tenu en respect. Ce silence vient d'abord des choses mêmes que l'artiste a élues et disposées devant son regard exact — feuilles qui sèchent, branches immobilisées dans le vide, impénétrables mottes de terre, couteaux brisés ou encriers de jadis, squelettes sous plastique, oiseaux morts… — dont le rendu on ne peut plus net, comme arrêté, exalte la neutralité objective de l'apparence déshabitée. Aussi ce silence est encore épaissi par le mutisme déclaré de l'image elle-même, dont la composition savante, concertée, exhibe ostensiblement son caractère d'image, son insolite éclat et son écart irréductible d'avec le monde ordinaire. Un art intransigeant se poursuit là, tout astreint à la loi sévère qu'il s'est reconnue, et qui reconduit celle-ci quels que soient ses motifs représentés. Le silence de ces photographies, « choses muettes » comme disait Poussin de ses peintures, est une énigme qu'il revient au spectateur d'affronter et de chercher à comprendre, comme il est revenu au photographe d'en faire son objet profond et son destin propre.

Faire silence, faire des images qui soient de part en part assujetties au silence, et faire que ce silence non pas retentisse musicalement dans l'espace déployé, mais stupéfie le regard et sature les objets regardés, au point que ceux-ci semblent se refuser, se retirer dans leur en-soi et se soustraire à la communication, — quel est le sens de cette étrange entreprise, et d'où vient qu'elle soit conduite avec tant de rigueur ? On peut pour répondre à cette question remarquer d'abord que les motifs auxquels Stéphane Spach consacre son attention sont bien souvent sinon toujours des choses qui ont vieilli, qui sont passées ou déjà mortes. Maints tableaux de l'artiste sont des « Vanités », dont plusieurs portent précisément ce titre, et quand ce sont des « paysages » ils font de ceux-ci des natures muettes ou des contrées peu pénétrables. Qu'on regarde, par exemple, la toute première série ouvrant son grand catalogue personnel, intitulée « À la limite » : voici dans un verre contenant trop peu d'eau une tige au bout de laquelle se froisse une feuille énorme, et cette tige insuffisamment nourrie s'affaisse, se courbe vers sa mort — voici donc un memento mori enregistrant l'asymptote de la finitude, laquelle penche vers sa fin ce fragment esseulé d'un végétal en exil dans un désert uniformément gris. De même, qu'on regarde la deuxième série de ce même livre, « Les plateaux ». C'est dans un format carré une sorte de tondo précisément centré, un cercle de corbeille ronde dont, sur un fond intégralement noir, les bords contiennent des fleurs qui sèchent et des tiges mortes, auprès d'un papier froissé et d'un mégot qui traîne. Ici et là tout est retenu, à jamais figé, nul vent ne viendra retirer ces reliques à leur dévitalisation, nul événement ne viendra les soustraire à leur être-là, aucun recommencement ne défera leur inertie. Ces images (mais beaucoup d'autres pareillement : les globes de verre enserrant le vide, les ailes d'oiseaux sans corps, les os abandonnés sur d'immenses nappes, les chevelures coupées, les fauves empaillés…) silencieusement parlent du temps : du révolu, et de l'irréparable. Nul doute par conséquent que le silence dont ces œuvres sont à la fois l'écho et le service est celui de ce qui par le temps va à la mort et à l'immobilité. Nul doute que l'œuvre de Stéphane Spach est un reflet juste et pur de l'énigme du temps, une ouverture directe pratiquée sur cette énigme, et c'est pourquoi cette œuvre, à proprement parler, est belle : elle témoigne que l'artiste a eu un contact réel, direct et immédiat, avec le mystère de l'éphémère, ce contact qui lui fut une sorte de sacrement auquel il dut sa vocation et sa manière.

On rapporte que Cézanne a dit du peintre, du moins du peintre entièrement requis par sa fatalité, qu'il « doit faire taire en lui toutes les voix des préjugés, oublier, oublier, faire silence, être un écho parfait. » L'œuvre de Stéphane Spach est un écho parfait de l'irretrouvable, de l'inéluctablement disparu et du déjà mort dans la vie même. Aussi cette œuvre participe-t-elle d'un esprit qu'elle renouvelle singulièrement, l'esprit positif du catalogue et de l'herbier. Les séries « Zoologie », « Musée zoologique », ou bien « Je t'ai tant attendu », ou encore « Fougère », relèvent de la conservation encyclopédique et du classement des apparences, elles font valoir par les aspects objectivés des choses ce qui reste de celles-ci quand la vie leur a été retirée. C'est là une vocation essentielle de la pratique photographique : de retenir par l'image
l'étrangeté extérieure de l'objet, de collectionner les différences entre les formes analogues et d'accumuler les preuves littérales de leur ruine. Voici encore « Les impermanentes » : des jonquilles qui s'étiolent, dont les bras racornis se défont, et dont les pétales tombés sans bruit sont isolés désormais sur la table déserte. Or ce qui reste ainsi de ce qui est passé, c'est la Forme : c'est la gloire paradoxale des apparences pétrifiées, et c'est l'identité à elle-même de chaque chose conservée par sa mise en image.

D'où le soin extraordinaire avec lequel les tirages sont accomplis. Le perfectionnisme de Stéphane Spach, le scrupule extrême avec lequel il compose ses tableaux et parachève leur rendu final, sont autant de signes de la double passion qui lui est propre, de la Forme pure et de l'exactitude. Il faut — c'est l'injonction interne à ce soin avant tout mental — que la chose soit identique à elle-même ; il faut que la Forme soit saisie comme telle ; il faut que l'impénétrabilité radicale des objets atteste qu'ils ont vécu jadis, qu'ils sont morts aujourd'hui, et qu'ils ont gagné par leur mort d'accéder à leur singularité intemporelle. Photographier comme le fait ce desservant des apparences, ce fétichiste, presque, des particularités objectives, et ce poursuivant obstiné de la perfection plastique, c'est donc conjuguer à l'expérience du temps, de
l'impermanence, l'obsession d'une éternité conquise par la mort. On peut parler à cet égard d'un « platonisme » photographique : d'un désir métaphysique de ressusciter la Forme au ciel immobile de l'Image, par-delà sa décrépitude constatée ici-bas. L'affrontement de l'éphémère est ici le seuil d'une restitution des choses à leur intemporalité supérieure. Tout ce qui meurt dans le monde empirique que nous connaissons, tout ce qui se corrompt et passe dans le temps vécu de notre existence précaire, retrouve dans l'idéalité de l'Image et dans sa perfection formelle son intemporelle majesté.

D'où vient cet art idéaliste, au sens philosophique de ce mot ? D'où vient cette dialectique qui invente par l'image l'intemporalité des objets les plus évidemment voués à la disparition ? On peut devant les « paysages » se risquer à former une hypothèse. Car ces paysages de Stéphane Spach forment sans doute la part la plus étonnante de son œuvre (la lumière y est abstraite, non pas immédiate ni naturelle, mais préconçue par le dispositif photographique, et techniquement apprêtée), la part dans laquelle, du coup, un aveu personnel est sans doute prononcé. Voici exemplairement « La Bruche » : une rivière, c'est-à-dire encore une fois du temps, le passage sans retour des eaux froides et la disparition de tout à travers tout, — mais voici aussi, dressant les rives qui étreignent cette rivière, et fécondées par celle-ci, la profusion sans fin des arbres serrés, la surabondance des branches, des feuilles, des nuances innombrables de la couleur, et la germination de tout par-dessus les flots gris. Deux postulations originelles, conjointes, se laissent déchiffrer dans ce superbe paysage : d'une part, certes, la finitude est centrale, dont « La Bruche » est le nom, et dont le cours est inarrêtable, mais, d'autre part, le monde alentour est une présence magnifique, la nature buissonnante une inapaisable donation, et la puissance de la vie végétale n'est certes pas moindre que celle du temps. Ces deux postulations se compénètrent pareillement dans la série des « Clairières », où les troncs et les branches redisent l'implacable impermanence, mais où leur entrelacs ramifiés, moussus, infinis, disent non moins
silencieusement — avec non moins d'énigme — la genèse incalculable de la vie. On peut en induire sans trop craindre de surinterpréter que Stéphane Spach est depuis toujours l'otage autant que le responsable d'une contradiction indépassable, vécue au plus intime de son rapport à lui-même et au monde. En effet, ces paysages, notons-le, sont ceux de son enfance, de son jardin premier où il habite encore, artiste enraciné, et ce n'est pas par hasard si l'une de ses séries porte ce titre : « Dernier jardin », et une autre : « Le jardin de minuit ». C'est qu'il y a certainement au fond de son existence personnelle et de son art volontaire, appliqué, un intemporel premier mais constamment perdu, un souvenir immémorial d'une éternité révolue, où se reprennent et se diversifient tous les aboutissements de son œuvre. Dans la poétique de celle-ci, c'est l'éternité de l'enfance qui est transposée par l'immobilité de la Forme.

Le temps est double, sous ce signe, et l'intemporel aussi. La finitude n'est si obsessionnellement questionnée que pour avoir frappé une enfance abolie. Et si la perfection formelle vient contredire la mortalité des données sensibles, si l'idéalisme vient réaffirmer l'absolu de l'Image au cœur même de la décrépitude des aspects, c'est pour autant qu'est toujours active cette trace immémoriale, toujours revendicatives dans l'existence vécue l'intemporalité du premier jardin et la sidération de l'enfance devant les choses muettes. Le diptyque saisissant de « L'herbe sous la neige » formule admirablement cette double postulation d'un photographe aussi fidèle à son origine que désireux de Formes pures. La neige, selon ce diptyque, a partout recouvert la totalité du passé, a déposé sur le monde son étouffant manteau : un hiver intraitable a triomphé de l'enfance perdue. Mais l'origine, par-dessous ce froid, et par le silence du temps, persiste dans les brins d'herbe, et s'obstine, énergiquement patiente : et c'est elle, bientôt, qui va recommencer à jardiner, à réinventer la beauté.

Jérôme Thélot
LE TEMPS ET L'INTEMPOREL DANS LES CHOSES MUETTES DE STEPHANE SPACH


Il y a dans les images de Stéphane Spach un parfait silence par lequel celui qui les approche est d'emblée saisi et tenu en respect. Ce silence vient d'abord des choses mêmes que l'artiste a élues et disposées devant son regard exact — feuilles qui sèchent, branches immobilisées dans le vide, impénétrables mottes de terre, couteaux brisés ou encriers de jadis, squelettes sous plastique, oiseaux morts… — dont le rendu on ne peut plus net, comme arrêté, exalte la neutralité objective de l'apparence déshabitée. Aussi ce silence est encore épaissi par le mutisme déclaré de l'image elle-même, dont la composition savante, concertée, exhibe ostensiblement son caractère d'image, son insolite éclat et son écart irréductible d'avec le monde ordinaire. Un art intransigeant se poursuit là, tout astreint à la loi sévère qu'il s'est reconnue, et qui reconduit celle-ci quels que soient ses motifs représentés. Le silence de ces photographies, « choses muettes » comme disait Poussin de ses peintures, est une énigme qu'il revient au spectateur d'affronter et de chercher à comprendre, comme il est revenu au photographe d'en faire son objet profond et son destin propre.

Faire silence, faire des images qui soient de part en part assujetties au silence, et faire que ce silence non pas retentisse musicalement dans l'espace déployé, mais stupéfie le regard et sature les objets regardés, au point que ceux-ci semblent se refuser, se retirer dans leur en-soi et se soustraire à la communication, — quel est le sens de cette étrange entreprise, et d'où vient qu'elle soit conduite avec tant de rigueur ? On peut pour répondre à cette question remarquer d'abord que les motifs auxquels Stéphane Spach consacre son attention sont bien souvent sinon toujours des choses qui ont vieilli, qui sont passées ou déjà mortes. Maints tableaux de l'artiste sont des « Vanités », dont plusieurs portent précisément ce titre, et quand ce sont des « paysages » ils font de ceux-ci des natures muettes ou des contrées peu pénétrables. Qu'on regarde, par exemple, la toute première série ouvrant son grand catalogue personnel, intitulée « À la limite » : voici dans un verre contenant trop peu d'eau une tige au bout de laquelle se froisse une feuille énorme, et cette tige insuffisamment nourrie s'affaisse, se courbe vers sa mort — voici donc un memento mori enregistrant l'asymptote de la finitude, laquelle penche vers sa fin ce fragment esseulé d'un végétal en exil dans un désert uniformément gris. De même, qu'on regarde la deuxième série de ce même livre, « Les plateaux ». C'est dans un format carré une sorte de tondo précisément centré, un cercle de corbeille ronde dont, sur un fond intégralement noir, les bords contiennent des fleurs qui sèchent et des tiges mortes, auprès d'un papier froissé et d'un mégot qui traîne. Ici et là tout est retenu, à jamais figé, nul vent ne viendra retirer ces reliques à leur dévitalisation, nul événement ne viendra les soustraire à leur être-là, aucun recommencement ne défera leur inertie. Ces images (mais beaucoup d'autres pareillement : les globes de verre enserrant le vide, les ailes d'oiseaux sans corps, les os abandonnés sur d'immenses nappes, les chevelures coupées, les fauves empaillés…) silencieusement parlent du temps : du révolu, et de l'irréparable. Nul doute par conséquent que le silence dont ces œuvres sont à la fois l'écho et le service est celui de ce qui par le temps va à la mort et à l'immobilité. Nul doute que l'œuvre de Stéphane Spach est un reflet juste et pur de l'énigme du temps, une ouverture directe pratiquée sur cette énigme, et c'est pourquoi cette œuvre, à proprement parler, est belle : elle témoigne que l'artiste a eu un contact réel, direct et immédiat, avec le mystère de l'éphémère, ce contact qui lui fut une sorte de sacrement auquel il dut sa vocation et sa manière.

On rapporte que Cézanne a dit du peintre, du moins du peintre entièrement requis par sa fatalité, qu'il « doit faire taire en lui toutes les voix des préjugés, oublier, oublier, faire silence, être un écho parfait.1 » L'œuvre de Stéphane Spach est un écho parfait de l'irretrouvable, de l'inéluctablement disparu et du déjà mort dans la vie même. Aussi cette œuvre participe-t-elle d'un esprit qu'elle renouvelle singulièrement, l'esprit positif du catalogue et de l'herbier. Les séries « Zoologie », « Musée zoologique », ou bien « Je t'ai tant attendu », ou encore « Fougère », relèvent de la conservation encyclopédique et du classement des apparences, elles font valoir par les aspects objectivés des choses ce qui reste de celles-ci quand la vie leur a été retirée. C'est là une vocation essentielle de la pratique photographique : de retenir par l'image
l'étrangeté extérieure de l'objet, de collectionner les différences entre les formes analogues et d'accumuler les preuves littérales de leur ruine. Voici encore « Les impermanentes » : des jonquilles qui s'étiolent, dont les bras racornis se défont, et dont les pétales tombés sans bruit sont isolés désormais sur la table déserte. Or ce qui reste ainsi de ce qui est passé, c'est la Forme : c'est la gloire paradoxale des apparences pétrifiées, et c'est l'identité à elle-même de chaque chose conservée par sa mise en image.

D'où le soin extraordinaire avec lequel les tirages sont accomplis. Le perfectionnisme de Stéphane Spach, le scrupule extrême avec lequel il compose ses tableaux et parachève leur rendu final, sont autant de signes de la double passion qui lui est propre, de la Forme pure et de l'exactitude. Il faut — c'est l'injonction interne à ce soin avant tout mental — que la chose soit identique à elle-même ; il faut que la Forme soit saisie comme telle ; il faut que l'impénétrabilité radicale des objets atteste qu'ils ont vécu jadis, qu'ils sont morts aujourd'hui, et qu'ils ont gagné par leur mort d'accéder à leur singularité intemporelle. Photographier comme le fait ce desservant des apparences, ce fétichiste, presque, des particularités objectives, et ce poursuivant obstiné de la perfection plastique, c'est donc conjuguer à l'expérience du temps, de
l'impermanence, l'obsession d'une éternité conquise par la mort. On peut parler à cet égard d'un « platonisme » photographique : d'un désir métaphysique de ressusciter la Forme au ciel immobile de l'Image, par-delà sa décrépitude constatée ici-bas. L'affrontement de l'éphémère est ici le seuil d'une restitution des choses à leur intemporalité supérieure. Tout ce qui meurt dans le monde empirique que nous connaissons, tout ce qui se corrompt et passe dans le temps vécu de notre existence précaire, retrouve dans l'idéalité de l'Image et dans sa perfection formelle son intemporelle majesté.

D'où vient cet art idéaliste, au sens philosophique de ce mot ? D'où vient cette dialectique qui invente par l'image l'intemporalité des objets les plus évidemment voués à la disparition ? On peut devant les « paysages » se risquer à former une hypothèse. Car ces paysages de Stéphane Spach forment sans doute la part la plus étonnante de son œuvre (la lumière y est abstraite, non pas immédiate ni naturelle, mais préconçue par le dispositif photographique, et techniquement apprêtée), la part dans laquelle, du coup, un aveu personnel est sans doute prononcé. Voici exemplairement « La Bruche » : une rivière, c'est-à-dire encore une fois du temps, le passage sans retour des eaux froides et la disparition de tout à travers tout, — mais voici aussi, dressant les rives qui étreignent cette rivière, et fécondées par celle-ci, la profusion sans fin des arbres serrés, la surabondance des branches, des feuilles, des nuances innombrables de la couleur, et la germination de tout par-dessus les flots gris. Deux postulations originelles, conjointes, se laissent déchiffrer dans ce superbe paysage : d'une part, certes, la finitude est centrale, dont « La Bruche » est le nom, et dont le cours est inarrêtable, mais, d'autre part, le monde alentour est une présence magnifique, la nature buissonnante une inapaisable donation, et la puissance de la vie végétale n'est certes pas moindre que celle du temps. Ces deux postulations se compénètrent pareillement dans la série des « Clairières », où les troncs et les branches redisent l'implacable impermanence, mais où leur entrelacs ramifiés, moussus, infinis, disent non moins
silencieusement — avec non moins d'énigme — la genèse incalculable de la vie. On peut en induire sans trop craindre de surinterpréter que Stéphane Spach est depuis toujours l'otage autant que le responsable d'une contradiction indépassable, vécue au plus intime de son rapport à lui-même et au monde. En effet, ces paysages, notons-le, sont ceux de son enfance, de son jardin premier où il habite encore, artiste enraciné, et ce n'est pas par hasard si l'une de ses séries porte ce titre : « Dernier jardin », et une autre : « Le jardin de minuit ». C'est qu'il y a certainement au fond de son existence personnelle et de son art volontaire, appliqué, un intemporel premier mais constamment perdu, un souvenir immémorial d'une éternité révolue, où se reprennent et se diversifient tous les aboutissements de son œuvre. Dans la poétique de celle-ci, c'est l'éternité de l'enfance qui est transposée par l'immobilité de la Forme.

Le temps est double, sous ce signe, et l'intemporel aussi. La finitude n'est si obsessionnellement questionnée que pour avoir frappé une enfance abolie. Et si la perfection formelle vient contredire la mortalité des données sensibles, si l'idéalisme vient réaffirmer l'absolu de l'Image au cœur même de la décrépitude des aspects, c'est pour autant qu'est toujours active cette trace immémoriale, toujours revendicatives dans l'existence vécue l'intemporalité du premier jardin et la sidération de l'enfance devant les choses muettes. Le diptyque saisissant de « L'herbe sous la neige » formule admirablement cette double postulation d'un photographe aussi fidèle à son origine que désireux de Formes pures. La neige, selon ce diptyque, a partout recouvert la totalité du passé, a déposé sur le monde son étouffant manteau : un hiver intraitable a triomphé de l'enfance perdue. Mais l'origine, par-dessous ce froid, et par le silence du temps, persiste dans les brins d'herbe, et s'obstine, énergiquement patiente : et c'est elle, bientôt, qui va recommencer à jardiner, à réinventer la beauté.

Jérôme Thélot
Période d'exposition
17 février - 24 mars 2024

Vernissage :
le samedi 17 février à partir de 16h
en présence de l'artiste

Adresse :
2 promenade Saint-Pierre des Minimes
60200 Compiègne - France
+33 6 17 89 25 45

Ouvert du jeudi au dimanche de 14h à 18h, samedi de 14h à 19h.

Entrée libre.

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