Clair / Obscur

Clair/Obscur

C'est ainsi. Je peins, je dessine. Je me tâche les mains. Je ne peux pas faire autrement. C'est essentiel pour me rattacher au monde. Pour comprendre le réel, il me faut une prise sur celui-ci. Saisir une faille sur la paroi de la falaise et s'y agripper. En dessous c'est le vide. Au-dessus aussi. Je ne sais pas voler. Il existe bien des dispositifs mécaniques ou des ailes de manufacture mais je ne dispose pas de ces équipements. Et puis ce serait encombrant de les transporter sur mon dos du matin au soir. Le mieux, c'est la magie. La magie, c'est plus léger. La magie, c'est l'art de se transporter dans un endroit qui n'est pas cartographié. Avec la magie des sentiers font leur apparition dans le vide et l'esprit peut s'y promener de plain-pied. Le dessin permet cela. C'est une opération magique. Alors je me promène dans le monde en rêve et en os. Par temps clairs, par temps couverts, par temps obscurs. Le camion des jours fait tomber des bouts de matin et de soir, des colis d'aube, des valises pleines de feux, des forêts entières et que sais-je encore. Ce camion mène un train d'enfer, ce qu'il convoie n'est pas bien arrimé, il verse souvent et je collecte bien des choses.

Après décantation, l'ensemble finit par se déposer. La craie, le fusain ou les pâtes pigmentées se sédimentent et posent leur empreinte sur une feuille de papier ou une toile de lin. Le vent prend sa part dans la réalisation de ce dépôt. Il remue les paysages qui se révèlent, ou bien tombe et cloue l'espace dans l'attente d'une brise. La magie est grande qui conduit la main et fait affleurer le mystère depuis les profondeurs du visible.

Jérôme Mitonneau
Octobre 2022