« La Nature aime se voiler » (Héraclite d'Ephèse)
La matière première est un sommeil. La lumière n'est pas encore. Dans le rêve de la matière, les yeux ne sont pas encore. L'œuvre est au noir. Nous sommes et nous ne sommes pas.
« Au commencement sans commencement était la beauté
Et la beauté était la matière
Et la matière était la beauté
La beauté était dans la matière et la matière était en elle
Mais la beauté était cachée ». (Chant orphique)
Obscur désir né de la matière obscure, le mot lumière créa les yeux. Et voici les yeux des astres, les yeux des globes, les yeux des particules, les yeux des filaments, les yeux des membranes et des agencements de membranes, voici les molécules et leurs yeux de graine. Tout tombe. Tout tombe et ne tombe pas. Tout flotte, sans verticale ni horizontale, et tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. La gravité est accomplie.
Et dans la gravité la beauté cachée
En ce monde et pas de ce monde
Comme la connaissance
En ce monde et pas de ce monde
Car la Nature aime se voiler
La gravité aime se voiler
La connaissance aime se voiler
L'innocence aime se voiler
Désir obscur né dans l'ivresse de la lumière, l'innocence met au monde, inlassablement, l'enfant. Dans l'ivresse d'être sans raison, l'être enfant voyage tout seul dans le ventre de la Mère avec, dit-on, le vrai nom de la beauté cachée, le nom auquel elle répond si on l'appelle. L'enfant vient au monde. Il prononce le nom. Il dit le mot « grâce ». On ne l'entend pas.
Il dit :
« Aux ténèbres qui m'ont mené jusqu'ici Je rends grâce pour grâce »
On ne l'entend pas. C'est dans la langue du babil, langue de Sphinx. La langue où chantent les Orphiques et les oiseaux :
« L'homme qui te parle est un Sphinx
L'homme que tu fus, le père que tu as eu était Sphinx
Eh bien, qu'as-tu compris au Sphinx qui te fut soumis ? »*
Car la Nature aime se voiler
La connaissance aime se voiler
L'innocence aime se voiler
La beauté aime se voiler
La beauté des formes sensibles et des êtres mathématiques
Dans un monde suspendu dans le vide et menacé par le vide
La beauté cachée sous les pieds de ceux qui tombent.
*Henri Michaux
Pour Thaddée