MENU
21 octobre - 26 NOVEMBRE 2023

Taisia Korotkova
Destinations imaginaires.
Arrêt « Forêt de Compiègne »

L'exposition personnelle de Taisia Korotkova Destinations imaginaires. Arrêt « Forêt de Compiègne » est composée d'aquarelles combinant différents types d'objets scientifiques, des centrales électriques, photovoltaïques mais aussi des champignons, des reptiles, des plantes, des oiseaux, des IA et des humains. Taisia Korotkova essaie de représenter un monde qui aurait appris à vivre sans utiliser de combustibles fossiles, dans lequel l'homme aurait cessé de se sentir comme le centre de l'univers, et dans lequel la nature ainsi que l'état de la Terre seraient soigneusement protégés. Dans un sens, nous pouvons l'interpréter comme la terraformation de notre propre planète. Pour l'exposition à Compiègne, Taisia présente des oeuvres dédiées à la Forêt de Compiègne et ses arbres remarquables. Elle les imagine toujours vivants dans un futur lointain, ayant survécus et ainsi observés avec admiration par les scientifiques.
21 OCTOBRE - 26 NOVEMBRE 2023

Taisia Korotkova
Destinations imaginaires.
Arrêt « Forêt de Compiègne »

L'exposition personnelle de Taisia Korotkova Destinations imaginaires. Arrêt « Forêt de Compiègne » est composée
d'aquarelles combinant différents types d'objets scientifiques, des centrales électriques, photovoltaïques mais aussi des champignons, des reptiles, des plantes, des oiseaux, des IA et des humains. Taisia Korotkova essaie de représenter un monde qui aurait appris à vivre sans utiliser de combustibles fossiles, dans lequel l'homme aurait cessé de se sentir comme le centre de l'univers, et dans lequel la nature ainsi que l'état de la Terre seraient soigneusement protégés. Dans un sens, nous pouvons l'interpréter comme la terraformation de notre propre planète. Pour l'exposition à Compiègne, Taisia présente des oeuvres dédiées à la Forêt de Compiègne et ses arbres remarquables. Elle les imagine toujours vivants dans un futur lointain, ayant survécus et ainsi observés avec admiration par les scientifiques.
Taisia Korotkova
La forêt de Compiègne et son possible futur

Paul Ardenne

Artiste russe active depuis les années 2000, Taisia Korotkova (Moscou, 1980) s'est fait connaître par ses curieuses compositions hyperréalistes inspirées de l'univers de la production, des usines et de l'ingénierie de pointe. Donner figure à l'univers de la conquête spatiale ou atomique, à celui des biotechnologies, à celui, encore, des laboratoires ou des espaces d'expérimentation lointains de l'ex-Union soviétique ou de la Russie contemporaine prend pour elle des allures d'enquête précise, par un traitement quasi-photographique de l'image picturale. Taisia Korotkova, en témoin des mutations du monde, et notoirement des mutations technologiques, rend emblématique un univers rarement abordé par les créateurs plasticiens, celui de la technique en acte et de ses acteurs le plus souvent anonymes, qu'elle approche au plus près avec un style graphique, proche du documentaire.

Revisiter

L'artiste, venue à Compiègne au début de l'année 2023, s'y laisse inspirer par la forêt locale, mythique. Cet espace forestier réputé, riche de ses 15 000 hectares de surface, de ses milliers d'espèces végétales et animales et de sa forte population de chênes et de hêtres l'est aussi de son passé historique, celui des chasses royales de François 1er et des aménagements forestiers de Napoléon 1er pour l'impératrice Marie-Louise (la fameuse percée des Beaux-Monts). S'adonner à un classique art du paysage dans la grande tradition française de l'école de Barbizon ou des impressionnistes ? Évoluons, plutôt. Taisia Korotkova, en lieu et place, revisite le site à sa manière propre, insolite mais, on va le voir, loin d'être incohérente.

Les bons connaisseurs de la forêt de Compiègne, dans la série d'aquarelles qu'elle produit à cette occasion, reconnaîtront de la sorte le poteau indicateur situé au carrefour des Dryades, sur le plateau du Voliard. L'artiste, qui en représente la figure, nous en offre cependant une perception inattendue. Autour du mat de pierre, sous un ciel saturé d'un vol d'insectes ou d'oiseaux puissamment intrusifs, de faux arbres gréés de panneaux solaires ont pris place tandis que ce qui semble un miroir aérien, un satellite ou un drone survole la scène. Que se passe-t-il ? Que s'est-il passé ? Une vision postapocalyptique que celle-ci ? La vision anticipée du futur de nos forêts rendues anémiques, menacées de toutes part par les assauts du réchauffement climatique, de l'agroforesterie agressive et des mégafeux ? On le croirait.

Science-fictionner

Les images de la forêt de Compiègne que nous propose ici Taisia Korotkova font leur part au paysage forestier, à travers la citation concrète de lieux reconnaissables ou d'arbres vénérables : une création in situ. Mais en transfigurant ce paysage, en nous le présentant comme nous pourrions y être confrontés dans quelques décennies, si tant est que perdure la crise climatique que nous subissons. Une image de l'anthropocène que celle-ci, donc, une mise en perspective, par l'image peinte, des ravages biotopiques de l'« ère de l'Homme » et, puisque l'être humain moderne n'aime pas les défaites, des moyens qu'il met et va mettre en œuvre pour limiter les dégâts, si c'est possible.

Taisia Korotkova, adepte, en l'occurrence et ce faisant, d'une création « science-fictionnelle » ? Cela ne fait aucun doute. La science-fiction peut être diversement perçue. Comme une rêverie sur la forme et les dérives du futur. Encore, comme une ouverture mentale à penser le monde autrement, au-delà du réel. La science-fiction, aussi, est une forme d'enquête sur ce que pourrait être notre avenir, un point de vue argumenté, de manière gémellaire, par la déduction et l'imagination. À travers son travail d'artiste, Taisia Korotkova adopte toutes ces approches, toutes ces manières de comprendre la science-fiction, avec toutefois cette obligation que l'on va dire rationaliste : ne pas ouvrir la perspective jusqu'au délire et, tout au contraire, se contenir au périmètre du possible.

Rester crédible

Car rien, dans les images que cette artiste nous propose des arbres de la forêt de Compiègne, n'est stricto sensu invraisemblable. La forêt est malade, souffre de stress hydrique, l'oïdium y ronge le bois et les espèces animales désertent ? Il est temps que des scientifiques en blouse blanche viennent à son chevet, avec, espérons-le, un certain succès. Dans cette même forêt, l'évolution biologique semble ne plus suivre un cours normal, entre invasions dévastatrices d'étourneaux, pollinisateurs isolés, cieux charbonneux lourds de carbone et accidents climatiques improbables ? Mettons cet écosystème en péril sous haute surveillance, et sous perfusion, avec le secours de la technologie. Des espèces parasites, çà et là, donnent l'impression bizarre de proliférer sans raison ? Il est temps que la plus haute technique et ses chercheurs et ingénieurs de terrain prennent les choses en main. Appareils d'observation, robots, sondes, panneaux solaires, dès lors, trouvent là une place attendue, bénéfique même : les vecteurs, les artisans du salut.

La forêt, de concert ? La sylve ainsi prise en charge par l'esprit et la main de l'homme, de façon énergique et volontariste, cesse d'être un espace laissé à son propre développement. La voici bientôt équipée comme l'est un malade que l'on prépare pour une opération chirurgicale et nous la retrouvons changée, pour reprendre les termes de Pierre Legendre (La fabrique de l'homme occidental), en un « théâtre médicalisé », en un espace hybride soumis à la plus haute des surveillances. Quoi, pour solde de tout compte ? La forêt-forêt a fait son temps, la crise écologique que nous vivons en fait une forêt-laboratoire, un Wood Lab Space en plein air et sous des cieux peu cléments.

Le soin et la servitude

Un des auteurs fétiches de Taisia Korotkova, l'écrivain et essayiste polonais Stanislaw Lem, a fait au siècle dernier de la science-fiction un véritable opérateur d'intelligibilité, une base réflexive pour penser notre devenir et notre destin (voir sa Summa Technologiae, prophétique, parue en 1964). Lem mise sur la technologie pour inverser le cours calamiteux des choses tout en pointant le caractère inhumain de l'inflation technique qui l'accompagne – un règne des machines, des appareils et de la gestion automatisée qui ne laisse en revanche plus guère de place au libre-arbitre humain. Soigner, en substance, s'assimile à asservir.

Taisia Korotkova artiste elle aussi prophétique, la tête et la main dans le feuillage et l'appareillage de l'ère électro-numérique qui est la nôtre, ne nous signifie pas autre chose.


Paul Ardenne est écrivain et historien de l'art. Il est notamment l'auteur de Art, le présent (2010) et de Un Art écologique. Création plasticienne et anthropocène (2018).
Taisia Korotkova
La forêt de Compiègne et son possible futur
Paul Ardenne

Artiste russe active depuis les années 2000, Taisia Korotkova (Moscou, 1980) s'est fait connaître par ses curieuses compositions hyperréalistes inspirées de l'univers de la production, des usines et de l'ingénierie de pointe. Donner figure à l'univers de la conquête spatiale ou atomique, à celui des biotechnologies, à celui, encore, des laboratoires ou des espaces d'expérimentation lointains de l'ex-Union soviétique ou de la Russie contemporaine prend pour elle des allures d'enquête précise, par un traitement quasi-photographique de l'image picturale. Taisia Korotkova, en témoin des mutations du monde, et notoirement des mutations technologiques, rend emblématique un univers rarement abordé par les créateurs plasticiens, celui de la technique en acte et de ses acteurs le plus souvent anonymes, qu'elle approche au plus près avec un style graphique, proche du documentaire.

Revisiter

L'artiste, venue à Compiègne au début de l'année 2023, s'y laisse inspirer par la forêt locale, mythique. Cet espace forestier réputé, riche de ses 15 000 hectares de surface, de ses milliers d'espèces végétales et animales et de sa forte population de chênes et de hêtres l'est aussi de son passé historique, celui des chasses royales de François 1er et des aménagements forestiers de Napoléon 1er pour l'impératrice Marie-Louise (la fameuse percée des Beaux-Monts). S'adonner à un classique art du paysage dans la grande tradition française de l'école de Barbizon ou des impressionnistes ? Évoluons, plutôt. Taisia Korotkova, en lieu et place, revisite le site à sa manière propre, insolite mais, on va le voir, loin d'être incohérente.

Les bons connaisseurs de la forêt de Compiègne, dans la série d'aquarelles qu'elle produit à cette occasion, reconnaîtront de la sorte le poteau indicateur situé au carrefour des Dryades, sur le plateau du Voliard. L'artiste, qui en représente la figure, nous en offre cependant une perception inattendue. Autour du mat de pierre, sous un ciel saturé d'un vol d'insectes ou d'oiseaux puissamment intrusifs, de faux arbres gréés de panneaux solaires ont pris place tandis que ce qui semble un miroir aérien, un satellite ou un drone survole la scène. Que se passe-t-il ? Que s'est-il passé ? Une vision postapocalyptique que celle-ci ? La vision anticipée du futur de nos forêts rendues anémiques, menacées de toutes part par les assauts du réchauffement climatique, de l'agroforesterie agressive et des mégafeux ? On le croirait.

Science-fictionner

Les images de la forêt de Compiègne que nous propose ici Taisia Korotkova font leur part au paysage forestier, à travers la citation concrète de lieux reconnaissables ou d'arbres vénérables : une création in situ. Mais en transfigurant ce paysage, en nous le présentant comme nous pourrions y être confrontés dans quelques décennies, si tant est que perdure la crise climatique que nous subissons. Une image de l'anthropocène que celle-ci, donc, une mise en perspective, par l'image peinte, des ravages biotopiques de l'« ère de l'Homme » et, puisque l'être humain moderne n'aime pas les défaites, des moyens qu'il met et va mettre en œuvre pour limiter les dégâts, si c'est possible.

Taisia Korotkova, adepte, en l'occurrence et ce faisant, d'une création « science-fictionnelle » ? Cela ne fait aucun doute. La science-fiction peut être diversement perçue. Comme une rêverie sur la forme et les dérives du futur. Encore, comme une ouverture mentale à penser le monde autrement, au-delà du réel. La science-fiction, aussi, est une forme d'enquête sur ce que pourrait être notre avenir, un point de vue argumenté, de manière gémellaire, par la déduction et l'imagination. À travers son travail d'artiste, Taisia Korotkova adopte toutes ces approches, toutes ces manières de comprendre la science-fiction, avec toutefois cette obligation que l'on va dire rationaliste : ne pas ouvrir la perspective jusqu'au délire et, tout au contraire, se contenir au périmètre du possible.

Rester crédible

Car rien, dans les images que cette artiste nous propose des arbres de la forêt de Compiègne, n'est stricto sensu invraisemblable. La forêt est malade, souffre de stress hydrique, l'oïdium y ronge le bois et les espèces animales désertent ? Il est temps que des scientifiques en blouse blanche viennent à son chevet, avec, espérons-le, un certain succès. Dans cette même forêt, l'évolution biologique semble ne plus suivre un cours normal, entre invasions dévastatrices d'étourneaux, pollinisateurs isolés, cieux charbonneux lourds de carbone et accidents climatiques improbables ? Mettons cet écosystème en péril sous haute surveillance, et sous perfusion, avec le secours de la technologie. Des espèces parasites, çà et là, donnent l'impression bizarre de proliférer sans raison ? Il est temps que la plus haute technique et ses chercheurs et ingénieurs de terrain prennent les choses en main. Appareils d'observation, robots, sondes, panneaux solaires, dès lors, trouvent là une place attendue, bénéfique même : les vecteurs, les artisans du salut.

La forêt, de concert ? La sylve ainsi prise en charge par l'esprit et la main de l'homme, de façon énergique et volontariste, cesse d'être un espace laissé à son propre développement. La voici bientôt équipée comme l'est un malade que l'on prépare pour une opération chirurgicale et nous la retrouvons changée, pour reprendre les termes de Pierre Legendre (La fabrique de l'homme occidental), en un « théâtre médicalisé », en un espace hybride soumis à la plus haute des surveillances. Quoi, pour solde de tout compte ? La forêt-forêt a fait son temps, la crise écologique que nous vivons en fait une forêt-laboratoire, un Wood Lab Space en plein air et sous des cieux peu cléments.

Le soin et la servitude

Un des auteurs fétiches de Taisia Korotkova, l'écrivain et essayiste polonais Stanislaw Lem, a fait au siècle dernier de la science-fiction un véritable opérateur d'intelligibilité, une base réflexive pour penser notre devenir et notre destin (voir sa Summa Technologiae, prophétique, parue en 1964). Lem mise sur la technologie pour inverser le cours calamiteux des choses tout en pointant le caractère inhumain de l'inflation technique qui l'accompagne – un règne des machines, des appareils et de la gestion automatisée qui ne laisse en revanche plus guère de place au libre-arbitre humain. Soigner, en substance, s'assimile à asservir.

Taisia Korotkova artiste elle aussi prophétique, la tête et la main dans le feuillage et l'appareillage de l'ère électro-numérique qui est la nôtre, ne nous signifie pas autre chose.


Paul Ardenne est écrivain et historien de l'art. Il est notamment l'auteur de Art, le présent (2010) et de Un Art écologique. Création plasticienne et anthropocène (2018).
Période d'exposition
21 octobre - 26 novembre 2023

Vernissage :
le samedi 21 octobre de 17h à 19h
en présence de l'artiste

Autour de l'exposition :

Nous vous proposons une sortie matinale en forêt de Compiègne pour aller à la rencontre de ses arbres remarquables. Elle sera guidée par un grand amateur et connaisseur de la forêt, l'auteur du livre "La Forêt dans tous ses états" Bernard DEBARGUE.

Dates : les dimanches 29/10 et 19/11
Visite gratuite sur inscription au
06 17 89 25 45

Adresse :
2 promenade Saint-Pierre des Minimes
60200 Compiègne - France
+33 6 17 89 25 45

Ouvert du jeudi au dimanche de 14h à 18h, samedi de 14h à 19h.

Entrée libre.

Contactez-nous
Telegram
WhatsApp
Messenger
Mail
Phone